23 juillet 2008

Je crierai toujours...


"Avez-vous vu tomber l'Empire? Non: rien n'a troublé le repos de ces lieux. L'Empire s'est abîmé pourtant, l'immense ruine s'est écroulée dans ma vie, comme ces débris romains renversés dans le cours d'un ruisseau ignoré. Mais à qui ne les compte pas, peu importent les évènements: quelques années échappées des mains de l'Eternel feront justice de tous ces bruits par un silence sans fin."

Chateaubriand

Notre pays est tiraillé. Comme beaucoup d’autres. Tiraillé entre un besoin de réforme et une envie historique de rester ce qu’il est. Tiraillé entre une nécessaire évolution et un besoin vitale de ne pas troubler ce qui fait une harmonie de fond. Alors notre pays a peur, notre pays craint, notre pays hésite, notre pays s’inquiète. Et il n’y a rien de pire car dans ces moments, l’exclusion, le non, le refus et avec eux l’instantané, l’immédiateté et sans doute derrière l’indécence et l’inconséquence de l’action publique se font jour.

Cette femme à la bourqua m’a touché et la réponse apportée par le Palais Montpensier m’a heurté.

Oui, je connais le salafisme et ses deux branches, l’Islah et le Taqlid, j’aperçois la nature de leurs revendications et de Tariq, je sais qu’ils ne sont sans doute pas en accord avec les valeurs de notre pays et de notre Europe.

Mais je connais aussi mes lois et les combats de mon camp en son temps. Je sais que 10 ans sur notre territoire, en famille, vivant de son travail et scolarisant ses enfants suffisent pour prouver selon moi d’une intégration à notre diversité. C’est pourquoi la Gauche s’était élevée quand la Droite, toujours eux, a mis en place dans les critères de régularisation le jugement au cas par cas de l’intégration des candidats. Il fallait préférer la matérialité des conditions à l’individualisation des décisions en la matière.

Contrairement aux principes de définition des peines édicté par Beccaria. Car l’acte n’est pas encore commis en la matière. C’est justement un constat et un pari. 10 ans sur le territoire, sans condamnation, mérite sans doute de considérer que la Nation peut accueillir.

Et le pari peut être fait. Sauf si on perd confiance en notre modèle d’intégration, en la capacité de notre société à faire évoluer les gens et en la possibilité de chacun de se réformer.

Montpensier a dit non à tout cela. Non au fait que cette femme puisse au bout de 10 ans être considérée comme des nôtres. Sans chercher à régler l’hypocrisie des mêmes valeurs adoptés par des Français, eux, de souche. Sans chercher à se dire que demain peut-être, infiniment peut-être, elle aura envie d’écarter son voile. Sans chercher à se dire que ses enfants pourraient sans doute mieux s’intégrer en sachant leur famille reconnue. Tout cela, tous ces doutes répondent au pari suffisamment pour dire oui.

J’aurai aimé considérer l’argument du port de la bourqua mais que dire du port de la croix, du port de la kipa, du port du turban, de l’adoption de signes bouddhistes, kabalistiques ou je ne sais quoi qui font tout autant référence à des conceptions religieuses, au naturalisme caché et nourri dans leur tréfonds pour certains des mêmes valeurs que le salafisme ? Que dire si ce n’est qu’eux sont discrets, petits, peu voyants et qu’il a fallu à ce titre faire une loi pour interdire le port dans les lieux publics mais l’autoriser sur l’espace public et dans les lieux privés… Que d’hypocrisie…

Mais je crois que si ce pari n’a pas été fait, c’est que la Droite vient de gagner encore une bataille : faire croire que notre pays ne peut se satisfaire d’une présence musulmane (au même titre qu’il y a une présence chrétienne, juive, orthodoxe,…) et qu’il faut du coup s’en prémunir et protéger notre système. Pas de voile, pas de bourqua,… j’attends la mobilisation nationale contre le droit aux plats alternatifs dans les écoles et l’interdiction du port de la djellaba dans les lieux publics. C’est la justification odieuse aujourd’hui de la politique sarkozienne de traque, de durcissement et de chasse vis-à-vis des sans papier. Et tel est le contexte dans lequel cette décision a été prise par les capes aux hermines.

Mais derrière cela, on touche profondément aux libertés publiques car on atteint non pas à un individu mais à un groupe, qui se sent attaqué non pas à cause (ce qui signifierait un acte volontairement commis) mais pour ce qu’il est (ce qui signifie que c’est leur nature, leur spécificité, leur identité, leur possibilité qui est visé). Et c’est cela le concept de l’identité nationale : dresser groupe contre groupe, communauté contre communauté (terme pris dans sa plus belle acception) et non individu contre individu. Ce qui amène à faire de la politique de groupes, à nier le citoyen.

Je suis laïc. C'est-à-dire que je reconnais, précisément ici, l’égalité des sexes, non pas car je la considère comme une valeur mais car ce combat est pour moi une éthique, c’est un combat contre quelque chose et non pour quelque chose. Et j’applique ce précept à la liberté de penser également, ce qui me conduit au respect, au dialogue, à la pédagogie, au long temps et non au couperet de la loi, à la rapidité du décret et à l’interdiction de masse. Je reconnais ainsi la capacité de l’Homme à s’affilier mais je lui reconnais surtout sa capacité à se désaffilier de groupes auxquels il s’identifiait.

Et cela ne repose pas pour moi sur un avis donné par une très compétente dame du Conseil d’Etat qui doit faire sans doute peu de cas de John qui a été régularisé et qui considère que les PD sont des erreurs de la nature, Pedro qui considère que l’avortement ne doit être autorisé que pour les grossesses virginales, Ekaterina qui souhaite le retour sur l’abolition de la peine de mort,… Que d’hypocrisie.

Voici donc les raisons de ma peur, de ma colère face à cette capitulation dont beaucoup font part au nom de beaux principes mais à mon avis sans en mesurer le risque.

Sans doute car dans notre réformation, il doit falloir aussi prévoir un atelier sur notre modèle d’intégration, notre rapport à l’identité, la notion même du mot communauté,…

En attendant, moi, ce que j’appelle cette capitulation me fait peur car elle s’exerce encore une fois dans le domaine des libertés publiques, fondamentales et va même jusqu’à dénaturer la conception progressiste de l’Homme et du Citoyen.

Mais comme toujours avec ce genre de considérations quelques années échappées des mains de l'Eternel feront justice de tous ces bruits par un silence sans fin.

Si c’est le cas, j’espère ne plus être ici à ce moment.

En attendant, mais j’en doute, peut-être ce cri, mon cri, comme sur le tableau de Munch, donne vie à l’univers qui m’entoure.


1 commentaire:

MANUEL PICAUD a dit…

Bonjour Gauthier,
Texte touchant et juste. Il y a en ce moment tellement de remises en cause sournoises de nos principes qu'elles échappent à nos concitoyens - il est bon de rappeler les valeurs auxquelles nous sommes attachés,
très amicalement, Manuel
PS bravo pour ce blog auquel je me suis immédiatement abonné !