29 septembre 2013

Roms: tout commence par un courrier adressé au "Service... Propreté"



Je n’ai pas voulu parler de la polémique sur les Roms. Car Jean-Marc Ayrault l’a éteinte en rappelant que sa circulaire prévoyait la recherche de l’intégration en même temps que des objectifs de sécurité et de santé publique. Car je ne veux pas avoir à faire un choix entre « humanistes » et « durs de durs ». Car le 3e arrondissement ne comporte pas de campements, mais plutôt, il est vrai, quelques petits groupes, contrairement à d’autres arrondissements ou d’autres villes proches. Car je pensais que plus tôt cette polémique serait finie, mieux cela serait pour tout le monde.

Et puis, j’ai reçu un courrier d’un syndic se plaignant de la présence d’une famille Rom avec enfants au pied d’un immeuble, avec affaires et détritus. Ce courrier était adressé au « service propreté ». Sans aucune mention d’une action sociale quelconque, et je vous passe les détails du courrier. Comme si au-delà de cette polémique, certains avaient déjà oublié l’aspect profondément humain derrière cette question. Choqué, j’ai décidé d’expliquer ce qu’en tant qu’élu de cet arrondissement je vois de ce sujet, et ce sans chercher à rentrer dans le jeu des soutiens à l’un ou l’autre. Ce sera ma pierre, non pas à la polémique mais à la recherche de constats et de solutions.

D’abord la complexité de la chose. Certains parlent de campements. Dans le 3e, sur la place de la République, ou un peu plus loin, place de la Bastille, ce sont plutôt des petits groupes isolés. J’ai le sentiment que cette situation concoure autant au sentiment actuel des Parisiens dans ce dossier que les campements. Y a-t-il du communautarisme dans des petits groupes ? Sans doute. Mais peut-être plus de la solidarité familiale, de petits enfants à grands parents, qu’autre chose. Cette diversité permet de voir d’un autre œil l’argument selon lequel les Roms sont tous dans des camps, avec une volonté de vie collective uniquement,… Ils passent là du communautarisme dans la misère à la précarité dans la rue : ces petits groupes deviennent plus facilement « atteignables » selon les credo du travail social existant (maraude, urgence sociale, proposition d’hébergement à l’unité,…). Mais de ce fait les problématiques déjà existantes refont surface. Tout comme, il ne faut pas s’étonner qu’un couple de SDF refuse d’intégrer deux centres d’hébergement différents se voyant séparés, il ne faut pas non plus s’étonner que des solidarités familiales en très grande précarité refusent de se séparer si on leur propose deux hôtels différents à plusieurs kilomètres d’écart. Autre complexité, la mendicité chez nous, dans le centre de Paris, ramène beaucoup, selon les dires des associations 150 euros par jour. Pourquoi s’en priver ? Même si un hébergement est proposé loin, sans travail autorisé donc sans ressources, la seule possibilité de survivre est de venir faire la manche ici.

Puis la bêtise institutionnelle. Je viens de parler d’hébergement. Nous manquons de places d’hébergement. Il y a de l’argent sur la table européenne, des milliards d’euros. Ils ne sont pas utilisés par tous. Paris fait beaucoup mais nombre de collectivités refusent d’ouvrir des structures d’hébergement, novatrices comme les villages ou plus traditionnelles comme des foyers. On le dit souvent Paris accueille 3/5e de l’hébergement francilien. Du coup, faute de mieux, des hôtels leurs sont proposés. Mais, comme je l’ai dit, loin de là où ils sont et incompatibles bien souvent avec leur structure familiale (même si j’ai bien conscience de la tension du secteur hôtelier). En outre, ces nuitées d’hôtels ne sont proposées que pour une courte durée. Quel intérêt d’accepter d’y aller si c’est pour quelques jours avant de devoir, transbahutés, retrouver un autre hôtel ailleurs ? Autre bêtise institutionnelle, la non-réponse que le parquet apporte à la présence d’enfants à la rue. Nous sommes tous choqués de voir des enfants dormir à la rue. Sauf le parquet a priori qui considère soit qu’il est trop difficile à traiter (comment remettre une convocation à des parents à la rue donc sans adresse ?), soit qu’il n’y a pas « enfance en danger » (si, si, on me l’a soutenu) soit qu’il n’y a pas assez de places (invoquer ses propres turpitudes…). C’est bien à lui et à lui seul d’ordonner le placement des enfants, s’ils ne sont pas scolarisés (d’autant que nous avons ouvert nos écoles à ces enfants), en situation de mendicité ou malades, sans aller jusqu’à évoquer pire. J’espère qu’à l’approche de l’hiver le parquet aura une attitude plus ferme vis-à-vis de ces situations.

Cette complexité et cette bêtise institutionnelle, en tant qu’élu, j’y suis confronté à chaque fois que nous cherchons avec les maraudes, la police et les services de la Ville et de l’Etat à trouver des réponses à la présence des familles à la rue.

Je ne cherche pas à trouver des excuses à cette situation. Je n’ignore pas les réseaux mafieux qui sévissent auprès des populations roms et qui se répercutent sur la population. Face à elle, nous devons être sans faiblesse et faire appliquer la loi à chaque instant, contre la délinquance et la non scolarisation des enfants. Anne Hidalgo a montré son engagement sur ce dossier, par son suivi fin et son implication dans la résolution de l’affaire Hamidovic. Mais je n’ignore pas  non plus la difficulté qu’il y a à s’insérer quand on n’a pas le droit de travailler (comme c'est le cas jusqu'au 1er janvier 2014). Je n’ignore pas les problèmes sanitaires des campements et la nécessité de les démanteler en accompagnant les familles vers leur insertion, au prix d’avoir à inventer d’autres réponses institutionnelles que celles proposées aujourd’hui. Je n’ignore pas non plus la nécessité de traiter également le problème au sein de l’Union Européenne, dans les pays d’où ils partent à cause de condition de vie désastreuses et de discriminations très fortes.

Je refuse simplement le fatalisme qui consiste à enfermer les Roms dans une spécificité toute naturaliste, niant leur capacité à s’intégrer car soit disant radicalement différents de nous. Il y a des exigences à avoir vis-à-vis de l’ordre public, et nous les avons quand nous démantelons des camps insalubres et indignes. Mais la suite de l’histoire ne doit pas être uniquement le retour à la frontière et la bulgarisation ou roumanisation du problème. Il y a des choses à faire pour apporter une réponse à celles et ceux qui souhaitent s’intégrer ici car il y en a (la récente polémique a eu l’occasion de mettre en avant de jolis destins individuels). Il faut aussi les associer à la définition de ces solutions. Nous avons encore des marges d’action pour ne pas faire appel systématiquement à la reconduite à la frontière. D’ailleurs, à quelle frontière puisqu’ils sont européens comme nous ? Je refuse d’éluder la difficulté d’un problème, je refuse les solutions toutes faites. Je crois en la capacité de chacun de comprendre sans tomber dans des panneaux simplificateurs que l’extrême-droite et la droite radicale sont trop contentes de nous voir tendre.

Il n’y a que 20 000 Roms en France. Certains disent qu’on ne peut se permettre d’intégrer dans notre pays ceux qui y seraient candidats. Un pays de plus de 65 millions d’habitants. Mais qui est donc la France si elle ne peut faire cela ?

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