Je n’ai pas voulu parler de la polémique sur les Roms. Car
Jean-Marc Ayrault l’a éteinte en rappelant que sa circulaire prévoyait la
recherche de l’intégration en même temps que des objectifs de sécurité et de
santé publique. Car je ne veux pas avoir à faire un choix entre « humanistes »
et « durs de durs ». Car le 3e arrondissement ne comporte
pas de campements, mais plutôt, il est vrai, quelques petits groupes,
contrairement à d’autres arrondissements ou d’autres villes proches. Car je
pensais que plus tôt cette polémique serait finie, mieux cela serait pour tout
le monde.
Et puis, j’ai reçu un courrier d’un syndic se plaignant de
la présence d’une famille Rom avec enfants au pied d’un immeuble, avec
affaires et détritus. Ce courrier était adressé au « service
propreté ». Sans aucune mention d’une action sociale quelconque, et je
vous passe les détails du courrier. Comme si au-delà de cette polémique,
certains avaient déjà oublié l’aspect profondément humain derrière cette
question. Choqué, j’ai décidé d’expliquer ce qu’en tant qu’élu de cet
arrondissement je vois de ce sujet, et ce sans chercher à rentrer dans le jeu
des soutiens à l’un ou l’autre. Ce sera ma pierre, non pas à la polémique mais
à la recherche de constats et de solutions.
D’abord la complexité de la chose. Certains parlent de
campements. Dans le 3e, sur la place de la République, ou un peu
plus loin, place de la Bastille, ce sont plutôt des petits groupes isolés. J’ai
le sentiment que cette situation concoure autant au sentiment actuel des
Parisiens dans ce dossier que les campements. Y a-t-il du communautarisme dans
des petits groupes ? Sans doute. Mais peut-être plus de la solidarité
familiale, de petits enfants à grands parents, qu’autre chose. Cette diversité
permet de voir d’un autre œil l’argument selon lequel les Roms sont tous dans
des camps, avec une volonté de vie collective uniquement,… Ils passent là du communautarisme
dans la misère à la précarité dans la rue : ces petits groupes deviennent
plus facilement « atteignables » selon les credo du travail social
existant (maraude, urgence sociale, proposition d’hébergement à l’unité,…). Mais
de ce fait les problématiques déjà existantes refont surface. Tout comme, il ne
faut pas s’étonner qu’un couple de SDF refuse d’intégrer deux centres
d’hébergement différents se voyant séparés, il ne faut pas non plus s’étonner
que des solidarités familiales en très grande précarité refusent de se séparer
si on leur propose deux hôtels différents à plusieurs kilomètres d’écart. Autre
complexité, la mendicité chez nous, dans le centre de Paris, ramène beaucoup,
selon les dires des associations 150 euros par jour. Pourquoi s’en
priver ? Même si un hébergement est proposé loin, sans travail autorisé donc sans
ressources, la seule possibilité de survivre est de venir faire la manche ici.
Puis la bêtise
institutionnelle. Je viens de parler d’hébergement. Nous manquons de places
d’hébergement. Il y a de l’argent sur la table européenne, des milliards d’euros.
Ils ne sont pas utilisés par tous. Paris fait beaucoup mais nombre de
collectivités refusent d’ouvrir des structures d’hébergement, novatrices comme
les villages ou plus traditionnelles comme des foyers. On le dit souvent Paris
accueille 3/5e de l’hébergement francilien. Du coup, faute de mieux,
des hôtels leurs sont proposés. Mais, comme je l’ai dit, loin de là où ils sont
et incompatibles bien souvent avec leur structure familiale (même si j’ai bien
conscience de la tension du secteur hôtelier). En outre, ces nuitées d’hôtels
ne sont proposées que pour une courte durée. Quel intérêt d’accepter d’y aller
si c’est pour quelques jours avant de devoir, transbahutés, retrouver un autre hôtel
ailleurs ? Autre bêtise institutionnelle, la non-réponse que le parquet
apporte à la présence d’enfants à la rue. Nous sommes tous choqués de voir des
enfants dormir à la rue. Sauf le parquet a priori qui considère soit qu’il est
trop difficile à traiter (comment remettre une convocation à des parents à la
rue donc sans adresse ?), soit qu’il n’y a pas « enfance en
danger » (si, si, on me l’a soutenu) soit qu’il n’y a pas assez de places
(invoquer ses propres turpitudes…). C’est bien à lui et à lui seul d’ordonner
le placement des enfants, s’ils ne sont pas scolarisés (d’autant que nous avons
ouvert nos écoles à ces enfants), en situation de mendicité ou malades, sans
aller jusqu’à évoquer pire. J’espère qu’à l’approche de l’hiver le parquet aura
une attitude plus ferme vis-à-vis de ces situations.
Cette complexité et cette bêtise institutionnelle, en tant
qu’élu, j’y suis confronté à chaque fois que nous cherchons avec les maraudes,
la police et les services de la Ville et de l’Etat à trouver des réponses à la
présence des familles à la rue.
Je ne cherche pas à trouver des excuses à cette situation.
Je n’ignore pas les réseaux mafieux qui sévissent auprès des populations roms
et qui se répercutent sur la population. Face à elle, nous devons être sans
faiblesse et faire appliquer la loi à chaque instant, contre la délinquance et la non
scolarisation des enfants. Anne Hidalgo a montré son engagement sur ce dossier,
par son suivi fin et son implication dans la résolution de l’affaire Hamidovic.
Mais je n’ignore pas non plus la
difficulté qu’il y a à s’insérer quand on n’a pas le droit de travailler (comme c'est le cas jusqu'au 1er janvier 2014). Je
n’ignore pas les problèmes sanitaires des campements et la nécessité de les
démanteler en accompagnant les familles vers leur insertion, au prix d’avoir à
inventer d’autres réponses institutionnelles que celles proposées aujourd’hui.
Je n’ignore pas non plus la nécessité de traiter également le problème au sein
de l’Union Européenne, dans les pays d’où ils partent à cause de condition de
vie désastreuses et de discriminations très fortes.
Je refuse simplement le fatalisme qui consiste à enfermer les Roms dans une spécificité toute naturaliste, niant leur capacité à
s’intégrer car soit disant radicalement différents de nous. Il y a des
exigences à avoir vis-à-vis de l’ordre public, et nous les avons quand nous
démantelons des camps insalubres et indignes. Mais la suite de l’histoire ne
doit pas être uniquement le retour à la frontière et la bulgarisation ou
roumanisation du problème. Il y a des choses à faire pour apporter une réponse
à celles et ceux qui souhaitent s’intégrer ici car il y en a (la récente
polémique a eu l’occasion de mettre en avant de jolis destins individuels). Il
faut aussi les associer à la définition de ces solutions. Nous avons encore des
marges d’action pour ne pas faire appel systématiquement à la reconduite à la
frontière. D’ailleurs, à quelle frontière puisqu’ils sont européens comme
nous ? Je refuse d’éluder la difficulté d’un problème, je refuse les
solutions toutes faites. Je crois en la capacité de chacun de comprendre sans
tomber dans des panneaux simplificateurs que l’extrême-droite et la droite
radicale sont trop contentes de nous voir tendre.
Il n’y a que 20 000 Roms en France. Certains disent qu’on
ne peut se permettre d’intégrer dans notre pays ceux qui y seraient candidats.
Un pays de plus de 65 millions d’habitants. Mais qui est donc la France si elle
ne peut faire cela ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire